Chapitre 1



   La « Chose » rôdait dans sa tête depuis le matin. Elle s’était manifestée dès son réveil d’une petite voix rose et insistante, susurrant simplement son nom dans l’oreille de Mariette. Sans violence. Mais jamais la « Chose » n’avait été aussi présente ni aussi pressante.
   Sa mère lui avait déclaré un jour, d’une remarque qu’elle voulait désobligeante, « Ma pauvre fille, tu es vraiment portée sur la chose » et c’est ainsi que Mariette appelait désormais cette compagne intime qui la suivait partout.
   Son petit frère, qui avait des lettres, l’appelait « La Nymphomane »... tout ça parce que le mois dernier, elle avait amené en cachette un copain dans sa chambre. Mariette trouvait que « Nymphe », c’était joli mais « Omane », ça faisait trop masculin. Pas assez délicat pour sa « Chose ». Et puis, il pouvait parler, lui et son petit « Machin ».

   A vingt-cinq ans, Mariette n’avait rien d’une oie blanche, ni d’une fleur bleue, et encore moins d’un petit chaperon rouge. Elle vivait chez ses parents, avec son petit frère âgé de huit ans (« arrivé à l’improviste », comme disait sa mère) et officiellement elle travaillait en qualité de standardiste dans une société d’import-export.
Officiellement seulement, parce que depuis deux ans, elle passait ses journées dans une petite pièce, avec devant elle trois Minitels et deux téléphones qui n’avaient de rose que le nom puisqu’ils étaient tout les deux blancs. En fait, elle ne mentait guère car elle importait et exportait vraiment des articles, mais aussi des adjectifs et des noms qui, eux, n’avaient rien de commun avec ceux que l’on employait à la maison.
   Elle avait trouvé ce travail par hasard, en répondant à une petite annonce. Un vieux monsieur très digne lui avait expliqué, avant de l’embaucher, que tout ce qu’il lui demandait c’était de tenir en haleine le plus longtemps possible les « clients ». Les six autres filles qui travaillaient dans les pièces voisines (et insonorisées) ne restaient guère longtemps et il ne se passait pas une semaine sans que Mariette rencontre une nouvelle tête dans les couloirs.
   Elles « craquaient », comme elles disaient. Mariette, elle, avait sa « Chose » qui semblait se nourrir des pires obscénités qu’elle entendait et prenait un peu plus de force chaque jour. « Obsédée », « Lubrique », « Luxure », tous ces mots n’évoquaient rien pour Mariette. Pas de rougeur suspecte sur les joues. Juste un petit sourire quand elle entendait prononcer « Concupiscent », mais elle voyait bien que c’était pareil pour tout le monde. Non, sa « Chose », c’était vraiment tout autre chose.
   Ils voulaient tous un rendez-vous avec elle. Tous. Pour l’allécher (« Pour te faire mouiller », disaient-ils plutôt), il y avait les tendres qui lui prodiguaient mille caresses par écran de Minitel interposé. Les poètes, avec leur « mont de Vénus » ou leur « baguette magique ». Les brutaux, qui promettaient de la « défoncer » et de la faire « crier comme une chienne ». Les anatomiques qui rêvaient de prendre une leçon de travaux pratiques de gynécologie. Les vantards et leur « membre de trente centimètres ». Les rigolos, qui jouaient avec les mots mais d’une main seulement. Mariette les appelait sa « faune », son « zoo » mais elle se gardait bien d’ouvrir la cage en donnant son numéro de téléphone.
   D’habitude, Mariette se contentait de laisser sa « Chose » régler ses problèmes de sexe. Elle aimait bien faire l’amour mais ce qu’elle préférait avant tout, c’était vivre ces moments là dans sa tête. Parce qu’elle n’avait pas ensuite tous ces « à côtés » ennuyeux. Se relever pour aller se laver, supporter un monsieur qui s’endort tout de suite (il y en a même qui ronflent), voir sa tête le lendemain matin (« Alors, heureuse? »), le consoler quand ça n’a pas marché bien fort (« Mais non, c’était très bien »). Le pire, ce sont ceux qui tombent amoureux et pour qui « tirer un coup » rime bizarrement avec « toujours ».
   Avec sa « Chose », aucun problème. Toujours disponible. Pas même besoin de lit. Le confort méningé tout électrique et sans note à payer. Le plus agréable était l’indépendance de la « Chose ». Elle se réveillait sans prévenir, pendant que Mariette faisait ses courses, quand elle était assise à table devant une assiette de soupe ou tandis qu’elle patientait à un guichet. Mariette fermait alors les yeux et ouvrait sa porte intérieure.
« Vous n’allez pas bien mademoiselle ? Vous avez un malaise ? Je peux vous aider ? » Ça, c’était le seul inconvénient. Les gens sont tellement peu habitués à assister à un orgasme féminin en public. Certaines femmes devaient bien s’en douter mais les mâles depuis longtemps ont préféré assimiler un état de pâmoison à un vertige passager.
   Pourtant, certains signes qui ne trompent pas. Les jambes qui se dérobent. La pointe des seins qui se dressent sous le chemisier jusqu’à les rendre délicieusement sensibles. Les joues qui se colorent légèrement. Un petit sourire qui s’affiche (ça, ils ne comprennent pas du tout et ils parlent de « rictus »). Les paupières qui se ferment et s’ouvrent sous d’autres cieux.
Mariette adorait ces instants qui précèdent la tempête. Et puis, quand elle se sentait fondre, juste avant de tomber, survenait le feu d’artifice, avec suffisamment d’énergie pour raidir ses muscles et la maintenir debout. D’abord une petite fusée, toute blanche, qui éclate sans bruit. Ensuite, impossible de contrôler. Ça explose de partout dans sa tête. De toutes les couleurs. Comme une série de crampes dont la douleur serait entièrement remplacée par le plaisir. Mariette sentait alors son sexe se dilater puis se rétracter, comme s’il mimait un accouplement sauvage. Et puis, plus rien. Quelques gouttes de sueur perlant sur son front pour unique témoignage de la fin du « malaise ».
   Mariette, après avoir été secourue par quelques bonnes âmes charitables, trouvait qu’il était bien injuste de parler de « malaise ». Et quand elle discutait avec sa « Chose », elle évoquait désormais ses « bien-aises ».


 

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Lundi 7 août 1 07 /08 /Août 22:27
- Publié dans : Roman : "La Chose" - Voir les 5 commentaires
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