Chapitre 5


   Mariette était en retard. Pourtant, elle avait la tête (et le reste) ailleurs. Elle reprit sa marche jusqu’à son lieu de travail, ne se souciant guère de trouver une excuse valable mais se demandant plutôt comment elle finirait sa journée si la « Chose » continuait à faire des siennes. Chaque fois qu’elle croisait un homme, elle le voyait entièrement nu, le sexe en érection, prêt à l’emploi. Mariette avait toujours eu un sixième sens pour imaginer le cinquième membre.
   Sa « Chose » lui chantait à l’oreille la chanson de Gainsbourg « Annie aime les sucettes ». A chaque pas,  le frottement l’une contre l’autre de ses cuisses humides (elle n’avait pas remis sa culotte) faisait remonter en elle une chaleur bienfaisante. C’est donc très logiquement, par deux fois avant d’arriver à destination, qu’elle dut s’appuyer contre un mur, le temps de laisser passer un léger « bien-aise » passager.
   La matinée de travail débutait en principe à 10 heures (il était 11 h 30) et n’était guère surchargée. Comme d’habitude, les habitués du Minitel rose étaient des couche-tard. Quitte à mettre en pratique téléphonique leurs fantasmes, ils préféraient le faire à tarif réduit. Ce n’était généralement que vers 17 heures que les appels commençaient à s’accélérer.
   Mariette travaillait une semaine, de 10 heures à 19 heures (avec une heure de pause à 13 heures) et la suivante, de 20 heures à 4 heures du matin. Son employeur estimait qu’ensuite les derniers poivrots ne méritaient pas « ses » filles et que pour les autres, SOS Amitié pouvait très bien prendre le relais.
Personne ne s’aperçut que Mariette était en retard. Comme ses collègues, elle passa le reste de la matinée, le nez dans son « cahier de bord » pour se remettre en mémoire les fidèles clients. Elle y consignait leurs petites habitudes, leurs points forts (généralement situés au même endroit pour tous) afin, comme disait le patron, de « tenir son rôle au mieux ».
   Son premier client, « SPHYNX », datait de l’an dernier mais il  arrivait encore aujourd’hui à Mariette de le croiser par hasard sur son écran. Aucun problème de se souvenir que, pour lui, elle était « MINOU ». Pour « PIERROT », encore plus facile. Elle était tout naturellement « COLOMBINE ». « JULIETTE », pour « ROMEO ». « DRACULERA », pour « GROS DRAGON ». « CHATTE BEANTE », pour « GROS DEGUEULASSE ». « ULLA », pour toute une série de clients de passage car elle préférait trouver ensuite un pseudonyme bien en accord avec son vis à vis (souvent vice à vice) quand celui-ci décidait de fidéliser ses services. C’était beaucoup plus pratique pour s’en souvenir et cela apportait au client une petite touche personnelle qu’il appréciait toujours. Ça, c’était pour le Minitel rose.
   Pour le téléphone (également rose), c’était beaucoup plus facile. Pas besoin de prendre des notes. Elle laissait sa « Chose » raconter des histoires. Ses interlocuteurs n’avaient guère utilité de fixer les images, qui leur venaient en tête, avec un prénom ou une appellation plus ou moins contrôlée. Sa « Chose » était suffisamment explicite dans ses propos. Parfois un peu trop. Si bien que les coups de fil ne duraient pas assez longtemps au goût de son employeur.
   Mariette avait également un second cahier sur lequel elle notait scrupuleusement les noms et les adresses (ou les numéros de téléphone, ce qui revenait au même, après une petite recherche) de certains correspondants. Ceux qui, faute d’obtenir les coordonnées de Mariette, inscrivaient les leurs sur l’écran, des fois que, on sait jamais... Ceux-là ne tardaient pas à recevoir chez eux (sous pli discret) quelque documentation suggestive comme celle dans laquelle Mariette avait déniché son Johnny fétiche.
   Ce fichier-clients particulier et confidentiel permettait aussi d’envoyer aux intéressés un autre genre de littérature. Toutes les employées avaient dans un tiroir des séries de photographies soigneusement rangées dans des chemises de couleur. Avec chaque dossier on trouvait des photos évocatrices d’une demoiselle ouverte (dans tous les sens du terme) à toute proposition. Elles étaient épinglées à une lettre toute prête, destinée à être envoyée avec son « illustration ». En échange d’un chèque ou d’un billet de cinquante francs, les lecteurs avertis obtenaient le droit de recevoir la lettre et la photo suivantes, classées pour aller crescendo dans l’art (et souvent le cochon) de la description anatomique. Ce genre de missive marchait bien mais Mariette, malgré la promesse d’un fort avantage pécuniaire, avait refusé de poser pour ces correspondances. Elle préférait mettre son talent en la matière à la rédaction des lettres et réservait ses charmes physiques à des protagonistes plus concrets. Elle décrivait des scènes comme celles qu’elle venait de vivre aujourd’hui, ajoutant quelques détails croustillants (pour faire craquer) que sa « Chose » ne manquait pas de lui souffler dans le creux de l’oreille.
   « Quelle imagination vous avez ! », lui avait un jour lancé son patron, sans aucune arrière pensée car il était toujours très boulot-boulot.


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Vendredi 11 août 5 11 /08 /Août 22:42
- Publié dans : Roman : "La Chose" - Voir les 1 commentaires
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